« Le poids des mots, le choc des photos. »

Qui ne connaît pas cette célèbre signature publicitaire de Paris Match ? Bien qu’inutilisée depuis longtemps elle n’a jamais été autant d’actualité.

La communication « grand public » est devenue boulimique d’images. On nous les vend à toutes les sauces : infographies, visuels, teasers, gif, pubs, formats courts types « Bref », etc… Il faut être « choc » !

Les auteurs fourmillent d’idées et de concepts novateurs dans une course à la créativité quasi-frénétique. Le but ? La simplification, la synthèse à tout prix pour accrocher, se démarquer. On imagine bien les dialogues en agence ou chez les spin-doctors : « le power-point c’est has-been, il nous faut un truc out of the box (…). Non, mets moins de mots là, tu sais bien qu’au-delà de 30 signes les gens ne lisent pas enfin ! Enlève les fioritures sur le côté, il faut alléger, épurer, on doit percuter les esprits, casser les codes ! Si t’es pas disruptif tu n’existes pas !».

Le règne de l’image et du résumé, donc, ou comment nous sommes collectivement en train de tomber dans le piège de la bêtise. S’adapter au « grand-public », à l’excès, quitte à niveler constamment par le bas…

Avec l’addiction aux réseaux sociaux et fils de discussion en tout genre, lourde peine à traîner comme un boulet pour l’immense majorité d’entre nous, peut-on considérer que la forme a définitivement pris le pas sur le fond?

Comment peut-on imaginer élever le débat, amener nos audiences à la réflexion, à force de ne proposer que des visuels synthétiques ? A considérer, d’ailleurs, que le fait de pousser à la réflexion soit encore une fin en soi… 

Loin de moi l’idée de critiquer systématiquement l’emploi d’une infographie – les propos experts ou scientifiques se doivent d’être vulgarisés – mais force est de constater que son utilisation à outrance nous fait perdre de vue le sens du message. Peut-être faudrait-il résister, ensemble.

Porter la forme aux nues. Et mettre le fond à poil.

Petit retour en arrière avec les JT TV dans les années 90 : afin de tout faire comprendre en un clin d’œil il fallait résumer. Pour expliquer une décision politique, par exemple, on s’est donc mis à proposer des schémas en grand et en gros, des jolis petits dessins colorés, car tout media qui se respecte se doit d’enchaîner les infos pour passer un maximum de messages en un minimum de temps : les prémices de la pédagogie infantilisante et abrutissante. Et les adultes se sont remis à penser comme en maternelle… L’avènement du web et des formats numériques express, avec les réseaux sociaux, a fini de parachever une réalité dont il semble que nous ne sortirons plus jamais.

L’écrit permet la nuance, l’élaboration d’une pensée distincte, il laisse sa place à la contradiction. Pas l’image, qui engendre une réaction à chaud. Les mots et la lecture offrent la richesse et la subjectivité, ils subliment la pensée quand les visuels la synthétisent et n’en présentent qu’une vision partielle et orientée. Les codes couleur, les typos et les chartes graphiques ne peuvent pas remplacer la subtilité du langage. Et le nouvel « intellectuel », c’est désormais celui qui est capable de lire un papier complet dans la presse nationale quotidienne, sur une bonne vieille feuille de journal, celle qui laisse les mains sales mais la tête bien remplie…

« Vouloir être de son temps, c’est déjà être dépassé » nous disait Ionesco. Et si le retro devenait tendance ?

Blandine Arnaud