Imaginez un dessin à la Sempé où des centaines d’anonymes, chacun muni d’un porte-voix, sont trop occupés par leur propre discours pour s’aperçevoir qu’ils ne parlent qu’à eux-mêmes.
Dans la communication à l’ère numérique, la course à l’effet immédiat conduit bien trop souvent à trois postures stériles.
“Ecrire, c’est vider son sac.” François Miterrand. La structure virale des réseaux sociaux principaux, l’esprit de cour de récréation poussent à tenir par principe une attitude tranchante. C’est le polémiste, qui exprime sa position sur tous les sujets, peu importe sa sphère de compétence. La viralité, graal ultime, n’existe que si la première charge est brutale. Le polémiste écrit pour durer, et in fine pour influencer.
“Ecrire, c’est une façon de parler sans être interrompu.” Jules Renard. De l’autre côté du spectre, c’est le règne des experts. Le style est dense, le texte est long. Une sorte d’équivalent de la tendance française à rester tard au travail pour prouver son efficacité. Pondre 20 pages, c’est l’assurance que personne ne les lira, mais que sa légitimité sera définitivement assise dans le domaine. Il y a bien un travail conséquent, et pour cause, mais l' »expert » n’écrit pas pour être lu, il écrit pour être reconnu.
“Ecrire, c’est déjà mettre du noir sur du blanc. » Stéphane Mallarmé. Troisième posture, et ventre mou de l’expression sur les réseaux sociaux, la langue de bois n’a pas disparu avec le digital. L’éternel recours des paresseux et des couards a encore le vent en poupe. Il consiste généralement à relayer systématiquement les messages les plus consensuels, ou a produire une pensée pseudo-innovante en rabachant des poncifs. C’est le « il faut que j’en dise quelque chose sinon on pourra me le reprocher » qui constitue l’essentiel du brouhaha numérique.
Alors comment écrire pour être lu, et surtout écrire pour dire quelque chose ? Peut-être en commençant par sonder sa légitimité avant d’aborder un sujet. Ensuite en pensant à ceux à qui l’on parle. Enfin, en ayant toujours à l’esprit que notre époque chaotique a cruellement besoin de silence, de clarté et de dialogue.
”La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute.” disait Montaigne. Écrire, en effet, c’est surtout être lu par quelqu’un.