L’ironie, « un art d’effleurer » qui ne se prend pas au sérieux. Ainsi la qualifiait Vladimir Jankélévitch dans son ouvrage (L’ironie. Champs Flammarion. 2011).

L’ironie, tonalité libre et joyeuse, détachée de toute contrainte systémique, a été mise sur un piédestal et s’est mutée en un mode de communication inconditionnel et très en vogue.

Mais depuis quelques années, la note a changé et l’emploi de la figure rhétorique s’est tellement répandu qu’il n’est plus l’apanage du talent ou de l’originalité mais plutôt, bien souvent, la démonstration d’un dialogue « bas de gamme » et d’une certaine médiocrité.

L’ironie, qui feint l’ignorance mais confine à la moquerie, est devenue une nouvelle forme de mépris qui incite à rire : une façon de s’affranchir des règles en « mode doux », pour reprendre une formule tendance. La télévision en est évidemment le royaume : la dérision y est permanente et employée par ceux qui veulent montrer d’eux-mêmes une « happy face » en toutes circonstances, quitte à passer pour les plus bêtes du monde. Hanouna et consorts… 

Car l’ironie, aérienne et libre, offre d’échapper au réel.

Utilisée avec tout l’excès lié à l’immédiateté dans la réaction qui caractérise notre temps, elle est en réalité le signe d’un terrorisme intellectuel qui ne dit pas son nom. L’ironie banalisée qui ponctue les débats en l’an merveilleux 2020, sert généralement à discréditer un propos avec la fâcheuse conséquence de déconnecter l’auditeur du réel en l’éludant. La dérision systématique empêche ainsi le spectateur de prendre de la hauteur, de la distance, de réfléchir. Elle est utile à la défense des thèses les plus loufoques car elle permet tout :  c’est la gaieté impertinente, « tout va bien, je vais bien, la maîtresse en maillot de bain ».

Mais l’auditeur, tout en se délectant de la forme de la tirade, oublie d’en analyser le fond… La pirouette ironique permet de ne pas répondre directement aux questions ou d’éviter de les poser clairement, de ne pas trancher, de ne pas s’impliquer émotionnellement et d’offrir une vision consensuelle et tiède : serait-ce l’arme de celui qui n’a pas de colonne vertébrale, de celui qui n’assume pas? Cet être séduisant qui n’affiche d’opinion sous aucun prétexte car il risquerait d’être catalogué ; tout en offrant l’illusion de sortir du lot grâce à ce petit tacle qu’il espère voir s’afficher sur un fil twitter le lendemain…

L’ironie n’est pas pudique, elle est vaniteuse.

Mais cette banalisation est aussi le mal de notre temps, une arme massive permettant d’imposer ses idées dans le débat public, l’« air de rien ». On écoute avec beaucoup plus d’intérêt un orateur maniant l’humour plutôt qu’un expert ennuyeux : c’est le nivellement par le bas, cette « coolitude » parfaitement incarnée par Yann Barthes qui s’échine (sans doute malgré lui – accordons-lui le bénéfice de l’innocence…) à démocratiser la paresse intellectuelle en empêchant l’auditeur de s’interroger en profondeur. A coups de petites phrases, de rires forcés et de focus sur un public aussi médiocre que les « journalistes » (humoristes) qui se donnent en spectacle, on attend de recevoir l’information. Et on finit par la subir, la bouche ouverte comme on recevrait la Sacro-sainte communion en s’empressant de dire Amen.

Oui, la nature ironique écarte d’emblée toute dramatisation. Mais il serait bon de s’en détacher pour revenir au constat d’une réalité concrète qui, bien que potentiellement froide et dérangeante, éviterait bien souvent de plonger le débat dans un vide de sens abyssal et sidérant.

Souhaitons retrouver le « bon-enfant » qui sommeille en nous, avec l’innocence et l’écoute qui permettent d’envisager un échange respectueux : ce dialogue dépourvu de tout artifice, celui qui révèle les intellects purs et qui nous offrirait d’entrevoir un débat de fond, plutôt que la nudité des rois qui le mettent en scène.

Blandine Arnaud